L’UKRAINE, L’EUROPE ET LA RUSSIE : OÙ ALLONS-NOUS ?

Par Wouter van Ginneken

Avec l’invasion illégale de la Russie en Ukraine, nous sommes maintenant arrivés au stade où ce n’est semble-t-il plus que les armes et les avancées militaires qui comptent. Comme le général prussien van Clausewitch le disait déjà au XIXe siècle : « Le pouvoir sort du canon d’un fusil ». Comment en sommes-nous arrivés à ce stade et quelles seraient les moyens de le dépasser ? Dans l’immédiat, quelles sont les possibilités d’un cessez-le-feu et à plus long terme les conditions pour l’amorce d’un processus de paix ?

            Après la chute du mur de Berlin, c’est l’Europe qui a pris l’initiative avec l’élargissement de l’Union européenne vers les pays d’Europe centrale et orientale qui auparavant faisaient partie de l’Union soviétique. Par ailleurs, tous ces pays sont devenus membre de l’OTAN.

Puis, peu à peu, la Russie s’est réveillée en particulier en participant à la fondation du BRICS, un groupe de grands pays, comme le Brésil, la Chine, l’Inde et plus tard l’Afrique du Sud.  En 2014, après des négociations infructueuses avec l’Occident, la Russie a annexé la Crimée, et depuis lors, par son implication dans le Brexit et l’élection de Donald Trump, elle a contribué à l’affaiblissement de l‘Union européenne et de l’OTAN.

Conditions pour arriver à un cessez-le-feu

Il est actuellement difficile de prévoir si la guerre peut être gagnée d’un côté ou de l’autre, mais il semble qu’en ce moment la Russie soit dans une meilleure position que l’Ukraine pour y arriver. La livraison d’armes par l’Occident est bien entendu un facteur important, mais non décisif.

Selon un article de Bell et Wolf[1] la probabilité d’un accord négocié est influencée par deux variables clés. La première concerne la zone d’accord possible ou ZOPA[2]. Elle se réfère aux « points de réserve » des parties – un terme faisant référence au pire accord possible que les parties seraient prêtes à accepter, aussi terrible soit-il. La deuxième variable est connue sous le nom de « meilleure alternative à un accord négocié », ou BATNA[3]. Il s’agit du résultat au cas où la Russie et l’Ukraine ne parviendraient pas à un accord. 

Quels seraient les pires résultats pour l’Ukraine dans une situation sans accord ?  Une complète destruction du pays par les bombardements russes qui semblent suivre la stratégie de la terre brûlée – avec occupation par la Russie après.  Pour la Russie ? Le retrait de toutes les troupes russes de l’Ukraine.

Sans une intervention directe de l’OTAN, l’Occident peut renforcer le BATNA de l’Ukraine en la soutenant plus fortement avec des armes et avec d’autres aides, comme par exemple les soins à la santé. L’effet des sanctions occidentales n’est cependant pas clair car une partie de celles-ci risque de conduire à une augmentation du prix du pétrole et du gaz, ce qui favoriserait la Russie. Qu’est-ce que les trois premiers ministres d’Italie, de France et d’Allemagne ont demandé à M. Zelenski le 16 juin dernier ? Réduire ses « points de réserve », par exemple en acceptant de ne pas chercher l’adhésion à l’OTAN en échange de l’adhésion à l’Union européenne?

La Russie a augmenté son BATNA en bombardant systématiquement les villes et la population ukrainienne. Est-ce qu’une véritable information sur les atrocités commises sur la société civile en Ukraine et les blessures des soldats russes pourraient avoir un effet auprès de la population russe ou indirectement sur les pays qui soutiennent la Russie ?

            Pour arriver à une paix durable il serait important que les négociations sur un éventuel cessez-le-feu puissent se dérouler dans un cadre international, comme l’ONU, gage que les conditions soient tenues et qu’elles entrent dans un processus de paix à long terme. Pour entamer un tel processus on pourrait penser à un groupe de pays jouant le rôle d’intermédiaires, comme la Suisse, le Mexique, l’Indonésie, le Qatar et le Sénégal. Le G20 organisé en novembre prochain par l’Indonésie pourrait être une opportunité à saisir.

Comment renforcer la collaboration en Europe avec les EEUU et avec les pays du Sud ?

            En 2021 les dépenses militaires de l’Europe et de l’Union européenne étaient 5 fois plus importantes que celles de la Russie, dont ces dépenses étaient 9 fois plus importantes que celles de l’Ukraine[4]. Dans le cadre de l’OTAN et de l’Union européenne, il est nécessaire de renforcer la coordination entre tous nos pays, afin d’assurer une gestion efficace de la défense.

            Par rapport aux Etats Unis d’Amérique, il est important de continuer les bonnes relations avec un prochain président qui peut être Républicain.  En même temps il nous semble nécessaire de continuer à développer les armées et la production militaire en Europe pour ne pas être trop dépendant du « complexe militaro-industriel » américain.

Beaucoup de pays du Sud considèrent la guerre entre la Russie et l’Ukraine comme un problème intra-européen. Le groupe BRICS est une force importante qui vise à remplacer l’hégémonie occidentale. Beaucoup de pays du Sud plus petits ne veulent pas non plus que cette hégémonie soit dans les mains de ces grands pays. En présence de la structure des vétos dans le Conseil de Sécurité des Nations unies, un organe consultatif comme le G20 pourrait représenter une plateforme utile.

Où allons-nous ?

Pour l’instant la voix est aux armes, et il est important de continuer à soutenir l’Ukraine avec des armes, avec un appui supplémentaire pour l’économie et les services sociaux.  C’est la situation militaire qui déterminera le point de départ pour des négociations sur un cessez-le-feu et un plan de paix à long terme. Une intervention militaire de l’Occident n’est toujours pas à exclure surtout maintenant que l’armée russe a commencé à bombarder Kyiv à partir de la Biélorussie. Dans le cadre de l’ONU, les pays occidentaux membres ont le droit d’aider un pays membre qui est agressé par un autre pays.

L’Europe et la Russie ont des complémentarités économiques qui ne sont maintenant pas utilisées. Par exemple, le blocage des exportations du gaz russe vers l’Europe nuit à l’économie russe, tandis que l’augmentation des dépenses énergétiques en Europe nuisent à l’économie européenne. Un processus de paix à long terme est dans l’intérêt des deux côtés. Espérons que nous serons capables de donner forme à cette réciprocité productive qui contribuera à la paix en Europe et dans le monde. Si l’Europe et la Russie ne parvenaient pas à un accord de paix, on peut s’attendre à une impasse à long terme, comme par exemple celle qui existe entre la Corée du Nord et du Sud, avec tous les risques d’un débordement vers une guerre plus généralisée.


[1] Bell, Arvid; Wolf, Dana: Is a ceasefire agreement possible? A negotiation analysis of the Russia-Ukraine war. (March 12, 2022) https://daviscenter.fas.harvard.edu/insights/ceasefire-agreement-possible-negotiation-analysis-russia-ukraine-war

[2] La zone d’accord possible (en anglais, The zone of possible agreement, ZOPA) décrit la zone théorique dans laquelle deux parties peuvent trouver un accord. À l’intérieur de cette zone, un accord est possible. En dehors, aucune sorte de négociation ne débouchera sur un accord (Wikipedia).

[3] In negotiation theory, the best alternative to a negotiated agreement or BATNA (no deal option) refers to the most advantageous alternative course of action a party can take if negotiations fail and an agreement cannot be reached (Wikipedia).

[4] Selon le Stockholm International Peace Research Institute, les dépenses militaires (en milliards de Usdollars, et sur la base des taux de change actuels du marché) sont estimées en 2022 à : 750 aux Etats Unis ; 208 en Union européenne, 67,5 dans les autres pays de l’OTAN en Europe ; 48 en Russie ; et 5,4 en Ukraine.

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