Par Imma Tubella
Nous sommes plongés dans une grave crise mondiale gérée par chaque pays à sa manière avec une absence totale de directives tant au niveau européen qu’au niveau mondial. Une crise mondiale mais des réponses locales absolument non coordonnées et souvent contradictoires alors que la situation actuelle rendrait nécessaire une politique globale pour faire face à des problèmes de santé qui sont eux-mêmes globaux.
Quelle a été la réponse de l’Espagne? Une réponse plus politique que sanitaire. Et ce n’est pas une opinion subjective car il suffit d’observer les conférences de presse des comités d’experts formés notamment par des militaires qui utilisent sans complexe une terminologie belliqueuse. Citons par exemple le porte-parole – militaire – du comité scientifique qui n’a pas hésité à commencer une de ses interventions par l’expression : « Il n’y pas de nouveauté au front! » alors que ce jour-là, le Covid-19 avait tué presque 800 personnes.
Le fait est que la crise du Covid-19 a éclaté en Espagne au milieu d’un processus de désintégration territoriale, une forte crise de la monarchie et avec un gouvernement sans majorité qui dépend des votes des territoires qu’il réprime. Un gouvernement soi-disant le plus progressiste que l’on puisse imaginer dans l’Espagne aujourd’hui, alors qu’il applique les politiques les plus antisociales, autoritaires et restrictives de l’Europe. Dès le début de la crise, la première action de l’État à été de re-centraliser à Madrid les pouvoirs en matière de santé qui étaient normalement sous la responsabilité exclusive des communautés autonomes et de décréter un état d’alerte sans confinement qui ne sera décidé que plus tard – trop tard ! – malgré les demandes répétées de plusieurs régions. En fait, l’état d’alerte a surtout permis de réduire les droits fondamentaux et la liberté d’expression. Par exemple, le directeur général de la Garde Civile, une force de police, a déclaré sans aucun problème, que sa tâche consistait à empêcher la critique du gouvernement espagnol concernant sa gestion de la pandémie.
La Catalogne a résisté, non sans erreurs, grâce à un système de santé qui avait été, il y a quelques années encore, l’une des références de l’Espagne bien qu’il ait été fortement affaibli par les effets de la crise de 2008, les nombreuses réductions budgétaires qui s’en sont suivies et le déficit budgétaire entretenu par le pouvoir central.
Hannah Arendt a écrit que la stabilité des gouvernements autoritaires dépend de leur capacité à nous exclure de la réalité et à rendre crédible la réalité fabriquée dans laquelle ils vivent. Magnifique définition de l’attitude de l’actuel gouvernement espagnol qui malgré les 25.857 décès officiels – chiffre du 6 mai 2020 qui ne comprend pour l’instant que les morts à l’hôpital – et les 220.000 infectés, maintient, publiquement, que la gestion de la crise du Covid-19 en Espagne est l’une des crises les mieux gérées du monde.
Comment est vécue cette crise en Catalogne? C’est une période très difficile. Avec un gouvernement local impuissant en raison du manque d’expertise de l’État central, alors qu’une partie des principaux dirigeants politiques sont emprisonnés, et avec un Conseil Scientifique qui émet souvent un avis contraire à chaque décision prise par l’État, cela provoque une situation de confusion tout à fait dramatique.
Ce que la crise du Covid-19 va laisser, c’est que le système économique, politique, social et sanitaire dans lequel nous vivons et que nous pensions passablement solide, est de fait très fragile et inexplicablement irresponsable. L’incapacité des gouvernements en général et de l’Espagne en particulier à utiliser l’épidémie pour, par exemple, prendre des mesures adéquates pour réduite la crise climatique ou encore repenser le modèle économique en est le meilleur exemple… C’est pour cette raison qu’en Catalogne, on ne veut pas revenir à la « normalité ». Parce que justement en Espagne aujourd’hui, la « normalité » est le problème.