Réseaux sociaux entre démocratie, populisme et terrorisme.

Par Jean-Daniel Rainhorn

Le prix Nobel de la Paix vient d’être attribué à la célèbre journaliste philippine Maria Ressa, ancienne correspondante de CNN en Asie du Sud-Est, spécialisée dans les enquêtes sur les réseaux terroristes et fondatrice du site d’information indépendant Rappler. Farouche opposante au Président Duterte, elle est arrêtée en 2018 pour diffamation et condamnée en juin 2020 à six années de prison, jugement contre lequel elle a fait appel.

Que reproche à Maria Ressa  une justice philippine aux ordres ? Certes, il n’est jamais agréable pour un dictateur populiste d’avoir pour principale opposante une femme considérée par le Time ou la BBC comme l’une des 100 femmes les plus puissantes du monde. Mais c’est surtout son travail contre les fake news – largement utilisées par le Donald Trump philippin – qui impressionne. Son livre « From Bin Laden to Facebook[i] » qui décrit les liens entre les réseaux sociaux et les mouvements terroristes, fait froid dans le dos quand on connaît le rôle de Facebook dans la manipulation des élections et la diffusion des messages de haine contre lesquels l’opinion publique, en particulier aux USA, commence à se mobiliser.

Pour mieux comprendre le travail de Maria Ressa et la raison de son Prix Nobel, il faut en particulier lire l’article du journal Le Monde paru le 17/10/2021[ii]. Pour ceux qui sont intéressés par l’utilisation des algorithmes dans la destruction de la démocratie, je conseille la lecture du livre « Les ingénieurs du chaos » du journaliste italien Guiliano Di Empoli[iii] qui décrit le travail acharné de dizaines de spin-doctors, d’idéologues et, de plus en plus souvent, de scientifiques et d’experts du Big Data, sans lesquels les leaders populistes ne parviendraient jamais au pouvoir. Goebbels l’avait compris avant tout le monde ! Il est également possible de se rendre tout simplement sur Arte qui produit un remarquable dossier vidéo sur la question[iv].

Il y a un siècle paraissait à Paris le livre « Nous autres [v]» d’un auteur russe alors inconnu, Evgueni Zamiatine. Inspiré de ce qu’il observait dans son pays, à peine trois années après la prise de pouvoir par les bolchéviques, il décrivait un monde déshumanisé dans lequel chaque individu était identifié par un code d’immatriculation. Mais n’est-ce pas cela que nous faisons tous les jours en prenant un billet de train, une place pour un concert ou tout simplement pour lire un journal sur Internet ? Dès l’accueil, on nous demande notre « code d’identification » et notre « mot de passe ». Pour les GAFAM qui dominent le monde de l’information et de la communication, cela fait longtemps que nous ne sommes plus que quelques lettres et quelques chiffres.

Vite, profitons de ce qui reste de la beauté du monde d’aujourd’hui pendant que nous le pouvons encore !


[i] Ressa M. From Bin Laden to Facebook : 10 Days of Abduction, 10 Years of Terrorism. Imperial College Press, London (2013)

[ii] https://www.lemonde.fr/international/article/2021/10/17/maria-ressa-prix-nobel-de-la-paix-nous-sommes-entres-dans-l-ere-des-autoritarismes-numeriques_6098698_3210.html

[iii] Di Empoli G. Les ingénieurs du chaos. Ed. JD Lattès ; Paris (2019)

[iv] https://www.arte.tv/fr/videos/RC-021654/la-toute-puissance-des-reseaux-sociaux-en-question/

[v] Zamiatine E. Nous autres. Ed Gallimard, Paris (1979).

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