Rien de nouveau sous le soleil

par Olivier Curty

Plutôt que de condamner le populisme de manière abstraite, examinons un exemple issu du passé et essayons d’en tirer un parallèle avec notre situation. Le phénomène du populisme existe partout et se retrouve en tout temps. Pour démontrer ces derniers points, tournons-nous vers une période qui ne suscite pas la polémique : l’Antiquité et plus particulièrement l’Antiquité grecque. Société finie, elle permet d’analyser les conséquences concrètes du populisme, alors que chez nous, celles-là restent du domaine du futur et de l’inconnu. Certes, les bouleversements causés par le populisme ont une ampleur différente entre cette époque et la nôtre. Hier, ils se limitaient à Athènes, voire à la Grèce tandis qu’aujourd’hui ils prennent une dimension mondiale grâce aux techniques de communications et aux réseaux sociaux. Mais le mécanisme est identique. Il y a toujours à la racine du populisme une crise morale où les limites du bien et du mal sont brouillées. Il faut ensuite un homme politique de premier plan adepte de solutions extrêmes et vivant dans la richesse, symbole de sa réussite sociale. Cet homme doit revendiquer fièrement son origine populaire pour se montrer proche des gens qu’il prétend défendre. Une autre des caractéristiques de cet homme est la passion, positive et négative, qu’il suscite presque toujours. Tel est le portrait-type du populiste de tous les temps. C’est aussi celui du démagogue athénien Cléon.

            Nous sommes dans la seconde moitié du Vème s. av. J.-C. Toute la Grèce est alors en conflit et se déchire. Une des alliées d’Athènes, la cité de Mitylène, fait défection. Cléon, l’homme fort d’alors, ne laisse pas passer l’affront. Il convainc l’Assemblée athénienne, pourtant formée de citoyens matures et responsables, de se montrer intransigeante et de faire un exemple. Elle vote par conséquent la mise à mort de tous les citoyens mâles et adultes de la cité séditieuse ainsi que l’asservissement des femmes et des enfants. Forte de cette décision, la cité d’Athènes envoie à son ex-alliée un bateau porteur de la terrible sentence. Mais le lendemain, cette même Assemblée, emmenée cette fois par un homme politique modéré du nom de Diodotos, se ravise et annule la décision de la veille ; elle dépêche aussitôt un second navire à rames forcées pour rattraper le premier et annuler la cruelle sentence, ce qui réussit in extremis[1]. Au-delà de son dénouement heureux, cet épisode montre que le peuple, même plongé dans des situations critiques, peut très bien adopter une voie pondérée quand on sait le convaincre. C’est un signe d’espoir pour la situation actuelle, où nous retrouvons la crise morale (entraînée par le coronavirus et ses conséquences) et les politiciens partisans de solutions à l’emporte-pièce et extrêmes. Les sociétés actuelles possèdent, comme jadis l’Assemblée athénienne, les ressources nécessaires pour adopter des mesures prudentes et sages. Bien que la situation soit maintenant plus complexe qu’autrefois, l’exemple d’Athènes nous montre que les sociétés doivent prêter leur confiance à des femmes et des hommes politiques modérés, qui sont forcément à l’inverse de personnages comme Cléon. 

            Cependant, le parallélisme des situations s’arrête là car Cléon vivait dans un contexte totalement différent de celui des populistes d’aujourd’hui. La carrière politique de Cléon fut brève et il mourut tué au combat, comme souvent dans l’Antiquité, alors que nos politiciens ont des perspectives d’avenir beaucoup plus longues, comme le prouve l’âge du président américain récemment élu. Cependant, un dernier point peut être retenu de la destinée de Cléon : il a laissé derrière lui une réputation très négative. Pour s’en convaincre, il n’est qu’à lire à ce sujet, 2.500 ans plus tard, les jugements péjoratifs de ses contemporains. Ces derniers sont des auteurs aussi différents que Thucydide, l’historien athénien, qui dresse de lui un portrait peu flatteur ou Aristophane, l’auteur de comédies, qui ne ménage pas ses railleries à son encontre. C’est pourquoi on peut supposer avec raison que les populistes d’aujourd’hui seront sujets de jugements critiques, même s’ils ont peu de chances d’avoir un Thucydide ou un Aristophane comme contradicteurs.


[1] L’épisode est raconté par Thucydide aux chapitres 35-50 du troisième livre de son œuvre. Le passage rapporte en plus les discours antithétiques de Cléon et de son contradicteur, Diodotos.

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