par Pierre Dominicé
La peur a toujours existé. Chacun a dû y faire face dans différentes circonstances. Ce qui caractérise la peur, telle qu’elle est vécue de nos jours, c’est que celle-ci est devenue un dénominateur commun pour une grande majorité de la population. Tout le monde en parle, plus ou moins explicitement. En période de pandémie, au cours de cette phase dite de Covid 19, la crainte d’attraper le virus se répand à grande allure et les mesures de prudence se renforcent pour éviter d’être victime de contagion. Notre vie psychique et sociale en subit les conséquences. Nous sommes ainsi constamment conduits à nous protéger, en limitant notamment les risques de rencontres avec des personnes qui pourraient nous contaminer, ou que nous pourrions contaminer.
La peur dont je parle dérange un nombre considérable de gens. Je l’observe autour de moi. Je la ressens intérieurement. Nombreux sont ceux, parmi mes proches qui l’expriment et en manifestent les effets. Les règles imposées pour se protéger du virus favorisent, sans doute, ce sentiment de peur. Le port du masque illustre bien la discipline à laquelle nous sommes soumis. La majorité la respecte. Le regard parfois inquisiteur des uns et des autres ne permet guère de s’y soustraire. En d’autres termes, la crainte d’une large diffusion des atteintes du virus, génère un climat d’appréhension de ses effets. Le nombre de morts évoqués renforce cette crainte, comme si une menace fatale habitait notre incomplétude. Il en va de même des personnes qui communiquent des statistiques et se risquent à des prédictions sur l’évolution de la propagation du virus. Il faut quand même se méfier reconnaissent les plus sceptiques, en mentionnant ceux qui en sont actuellement victimes autour d’eux. Tous ces éléments convergent vers un sentiment de peur largement partagé.
Faut-il combattre cette peur en cherchant à limiter son impact ? Comment la vivre pour éviter qu’elle nous envahisse ? A vrai dire, la question centrale consiste à savoir quel sens il convient de lui attribuer. Pour ce faire, il importe, probablement, d’apprendre à lui donner une place. Nous venons de traverser des périodes privilégiées au cours desquelles la peur ne correspondait pas à un sentiment courant. Les temps ont changé. Nous sommes dorénavant aux prises avec ce qui nous a été épargné. Rien ne sert d’écarter ce sentiment de peur. Nous sommes contraints de l’intégrer à nos vies. Personnellement, je tente de la recevoir comme une composante de mon quotidien.
Laisser la peur gagner une place
N’est-il pas urgent d’apprendre à laisser vivre la peur, d’admettre que dorénavant celle-ci fasse partie intégrante de nos vies. Nous ne sommes plus, comme les aînés d’hier, obligés de combattre des conflits clairement identifiés provenant de la scène politique ou des horreurs issues de la guerre. La peur d’être atteint par le Covid 19 génère un climat d’incertitude qui habite notre quotidien. Il est donc fondamental que nous ne nous laissions pas dominer par un sentiment de peur de la peur, en d’autres termes par une peur envahissante qui viendrait nous paralyser. Avons-nous, dès lors, une autre issue que de nous familiariser avec la peur ? En nous référant, par exemple, à des héritages comme celui qui provient de la tradition chrétienne, il serait même possible d’envisager des formes de spiritualité de la peur. La pratique de la méditation, propres à différentes traditions religieuses, en fait certainement partie.
La peur mobilise alors une réponse tournée vers l’espoir non pas d’une peur maitrisée, mais d’une peur assumée comme composante du quotidien. La peur, dans cette perspective, devient vivante. Elle n’échappe plus à une dynamique qui met en mouvement sa signification. La peur n’est alors plus ce qui bloque, mais ce qui peut faire avancer. Il s’agit, en un mot, de l’inclure dans la vie au lieu de la tenir à distance. Pour s’ouvrir à une telle optique, il importe d’en parler et de partager nos expériences. En bref, il convient de l’accueillir en tenant compte de multiples ressources dont il faut savoir profiter, de ressources littéraires, aussi bien que musicales ou artistiques.
Solliciter des ressources culturelles pour découvrir des dimensions vivantes de la peur
Bien des personnes de mon entourage évoquent le plaisir qu’ils ont eu à lire ou relire la Peste de Camus. Comme si un texte qui transcende les générations, en se présentant comme un récit, offrait la possibilité de se reconnaître dans sa propre histoire. Il y a, de même, des apports indéniables d’ordre musical ou artistique qui enrichissent la compréhension de la peur d’autres significations. La peur se transforme alors en un rapport vivant à notre histoire. Elle peut être reçue comme dimension de la vie. Entendue dans cette optique, la pandémie, malgré ses inconvénients, introduit de nouveaux horizons. Elle nous pousse à nous comprendre différemment. Devient-il alors justifié de parler d’enrichissement ?
Pour beaucoup, la peur est souvent considérée comme un défaut. Comme si la peur caractérisait des personnalités faibles qui ne savent pas dominer un sentiment vécu comme négatif. A l’époque de l’adolescence, la peur était considérée comme un signe d’immaturité. Pour avancer, il convient donc de s’en libérer et de savoir s’en débarrasser. Il est donc surprenant de parler de la peur en termes positifs, de l’accueillir comme un enrichissement, de trouver des ressources culturelles qui permettent de lui donner un sens. Le coronavirus, dans cette perspective, nous provoque. La crise comporte des côtés positifs. Elle oblige à des changements qui demandent à être pensés.
Les enjeux politiques de la peur
Il est indéniable qu’il existe une exploitation politique de la peur. Les positions autoritaires de plusieurs chefs d’état le montrent bien. Les citoyens ont besoin d’être rassurés ou tranquillisés. L’engouement pour la personne pour le moins ambiguë et corrompue de Trump le montre bien. Comment se fait-il que la dureté inébranlable et le refus total de capacité de négociation manifestés par le président actuel des Etats-Unis suscitent autant d’approbation populaire ? La soumission quasi totale d’ordre idéologique ne fournit pas une explication suffisante. La dépendance religieuse joue indéniablement un rôle central, mais les fondamentalistes ne sont pas les seuls électeurs mobilisés.
Les phénomènes populistes, reconnus comme pluriels, mettent en évidence différentes faces de l’intrusion de la peur dans le débat politique. Les dirigeants politiques savent en faire usage. Le fait de ne pas être seul confronté à la peur, mais d’avoir la possibilité de la partager, en permet l’allégement. Ceci explique l’usage politique qui peut en être fait. La peur véhicule ainsi une sorte de menace pour le fonctionnement démocratique. Elle peut être le facteur qui fait basculer transitoirement des majorités. Il y a comme une fragilité entraînée par la peur lorsque celle-ci est happée par des simplifications idéologiques. Cette dérive renforce la nécessité d’un apprentissage de la peur, de la construction d’une signification culturelle, envisagée comme un horizon positif de la peur.
Merci pour cette réflexion sur la peur, je veux juste apporter le résultat d’une observation.
La peur est une réaction émotionnelle qui peut être positive si elle permet de mieux percevoir sa source et d’y faire face, elle peut être contre-productive lorsqu’elle fait perdre la juste appréhension de la réalité. Il se peut alors qu’elle conduise à rechercher de fausses causes à l’origine même de son angoisse, des causes apportant une justification plus grande que celles naturelles, c’est la chute dans le complotisme. C’est ce phénomène que j’ai pu observer auprès de personnes pourtant cultivées, dans le contexte de la pandémie actuelle.
N’y a-t-il pas dans l’attitude de Trump vis-à-vis de la Chine en relation avec la covid un peu de ce même processus psychologique ?