La décentralisation à la française fait-elle le lit du populisme ?

par André Duval

La pandémie de Covid-19 met en lumière quelques conséquences malheureuses de la décentralisation à la française. La politique sanitaire du pays est dirigée par le ministère de la santé à Paris et transmise aux services de santé locaux au travers des agences régionales de santé (ARS). Ce sont elles qui font appliquer les décisions gouvernementales. Ce sont donc elles qui ont été les fers de lance ces dernières années des fermetures d’hôpitaux et maternités, de la réduction du nombre de lits en vue de réaliser des économies. Depuis quelques semaines, ce sont elles également qui ont été amenées à répondre à l’afflux de malades et à organiser leur accueil dans un contexte criant de manque de places. Heureusement, concernant les départements limitrophes de Suisse et d’Allemagne des collaborations transfrontalières se sont organisées au niveau des hôpitaux.

Au lieu d’être au service de leur région, les ARS sont la voix du gouvernement sur leur territoire. En quelques semaines les directeurs régionaux de la santé ont donc dû s’adapter aux évolutions rapides des doctrines gouvernementales. Non sans problèmes ! Par exemple lors d’une interview, le directeur de l’ARS de la région Grand-Est répond que le projet de réorganisation du CHU de Nancy qui propose de réduire le nombre de lits et le nombre d’employés « … est toujours d’actualité ! » alors que la région est frappée de plein fouet par le Covid-19. Sous la pression des élus locaux, le gouvernement central se voit obligé de le limoger.

Aujourd’hui, il est question de déconfinement. Il est évident que celui-ci doit être adapté à la situation sanitaire locale, comme  d’ailleurs aurait dû l’être le confinement lui-même. Les règles à appliquer à des agglomérations comme l’Ile de France ne peuvent être adaptées à des territoires où la population est peu dense comme dans les Alpes ou le Jura. Contrairement au bon sens, on en arrive aujourd’hui à imposer aux responsables locaux des directives de soixante-trois pages tout à fait ridicules pour un maire d’une commune rurale et en plus souvent inappropriées aux réalités locales. L’Etat aurait pu donner quelques principes à respecter que chaque élu local aurait interpréter pour les mettre en œuvre de manière opportune. Les exemples de la Suisse et de l’Allemagne où le pouvoir central a laissé une grande marge de manœuvre aux pouvoirs locaux auraient pu servir de modèles. Impossible dans la France jacobine où tout doit être décidé centralement pour être appliqué localement.

Autre exemple, toujours dans la cadre de la préparation du déconfinement, pour être plus proche de la réalité le pouvoir central prévoit deux types de régions, les rouges et les vertes. Mais il apparaît rapidement qu’il est difficile d’appliquer les mêmes règles dans les Alpes de Haute-Provence, département de 163.000 habitants qui n’a subi que sept décès, que dans le département des Bouches du Rhône, 2.024.000 habitants et 438 décès. Ils appartiennent pourtant tous deux à la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. On s’est alors orienté vers une carte à départements rouges et départements verts. Là encore, on aurait pu laisser les présidents des conseils départementaux définir eux-mêmes – à partir de critères généraux – si leurs territoires devaient être verts ou rouges. Mais le pouvoir est le pouvoir et c’est le gouvernement qui a finalement publié cette carte avec malheureusement de grossières erreurs. Raison officielle : les données remontées jusqu’au Ministère par les ARS étaient erronées !

La décentralisation à la française produit énormément d’entropie dans les informations. Celles qui proviennent de la périphérie et qui sont rassemblées dans les ARS, puis remontées vers le Ministère de la Santé, puis traitées à ce niveau et enfin redescendues vers les ARS, n’échappent pas à la règle. Elles coûtent comme chacun le sait beaucoup d’énergie pour être remises en ordre. Elles sont comme les impôts qui remontent au Ministère des Finances et sont redistribués très partiellement aux collectivités selon des règles plutôt obscures.

L’autoritarisme pour être efficace supprime les libertés. Corrélativement, la démocratie implique le respect des libertés, ce qui en termes de gestion administrative devrait conduire à une vraie décentralisation du pouvoir. Les multiples fausses vérités que les autorités ont dû énoncer parce que les masques, les tests  et les respirateurs artificiels manquaient, sont la marque habituelle du despotisme. Il est vrai que la situation en France placée aujourd’hui sous le régime de l’Urgence Sanitaire, dans lequel un certain nombre des libertés fondamentales ont été suspendues pour cause d’épidémie, pourrait y ressembler ! Recentraliser le pouvoir de décision alors qu’il existe dans le pays une demande de plus en plus forte pour une autonomie de décision locale est à haut risque. Cela va créer de fortes tensions qui pourraient faire le lit des thèses populistes. La gestion de la pandémie « à la française » va-t-elle favoriser l’arrivée au pouvoir des nationaux-populistes ?

One Reply to “La décentralisation à la française fait-elle le lit du populisme ?”

  1. Ernest Nycollin dit : Répondre

    Comme toute calamité publique , le COVID 19 est , par essence , discriminatoire. Au début de la pandémie toutes nos sommités médicales se sont crues obligées de s’exprimer , de manière souvent contradictoire , sur ce nouveau phénomène. Mais les statistiques les mirent tous d’accord : les personnes âgées, les cardiaques, les diabétiques et les obèses étaient les plus vulnérables. Or , à partir de 75 ans , il n’est pas rare de cumuler plusieurs handicaps. C’est dire que les vieux cardiaques ou diabétiques n’avaient pas beaucoup de chances d’en réchapper en cas de contamination et ça fait beaucoup de personnes dans le monde des confinés. Et parmi toutes ces personnes âgées, il faut malheureusement faire un sous-groupe , ceux qui, pour différentes raisons , ont été obligés d’entrer en EHPAD ; au moment du décompte final des victimes du Covid 19 , ils détiendront , et de très loin , le triste record de la mortalité , toutes catégories confondues.
    De nombreuses voix ne manqueront pas de s’élever pour proclamer qu’à près de 80 ans et après une vie bien remplie , il n’est pas scandaleux que ces hommes et ces femmes voient leur vie leur être retirée.
    Il est bien évident qu’être victime du Covid 19 dans la force de l’âge , à cause d’une position sociale précaire , est beaucoup dramatique et je partage pleinement les conclusions de l’étude d’André DUVAL , Mais comme le disait la philosophe Simone WEIL « Il n’y a pas de mort naturelle, toute mort est une violence indue »
    Et mourir , à un âge avancé , sous intubation et dans un total isolement est d’une violence insupportable .
    La mort. Sujet de réflexion qui a dû occuper l’esprit de beaucoup de ceux qui arrivent au terme du voyage sur terre et qui a largement été favorisé par le confinement.
    Fort heureusement, on s’habitue au danger
    Et puis il reste l’espérance dont a si bien parlé Charles PEGUY et qui, jusqu’au bout du chemin nous fait croire que demain sera meilleur qu’aujourd’hui.

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