Par Clara Zarembowitch
« Faire de la science, c’est penser contre son cerveau » G. Bachelard
Quelle place ménager aux vérités scientifiques lorsque nous sommes submergés par un torrent d’informations et d’opinions émanant de ceux qui se proclament « experts » ou « pas médecins mais qui pensent que… » ?
Voilà le thème du dernier essai publié par Etienne Klein intitulé « Le goût du vrai »[1]. En une soixantaine de pages, le philosophe des sciences analyse, à la lumière de l’épidémie de SARS-Cov2, la prise de pouvoir de cette inculture scientifique qu’il fustige et les raisons du succès qu’elle rencontre auprès des média et du public. Face à ce qu’il caractérise comme une « forme très vivace de populisme scientifique voire de dogmatisme cognitif, Klein nous invite à l’inconfort d’une pensée patiente qui se déploie contre les évidentes apparences et les opinions pourtant largement partagées. Au prix d’une acceptation de la conversation, voire de la controverse scientifique, sans dogmatisme mais avec audace et rigueur.
S’appuyant sur l’exemple de la gestion catastrophique de l’épidémie par des populistes notoires, Klein suggère que l’affaiblissement de notre exigence de vérité constitue un véritable danger pour les démocraties.
[1] Etienne Klein. Le goût du vrai. Editions Gallimard, Collection « Tracts », 2020.
La situation caractérisée par les discussions autour des traitements de la maladie du Covid-19 et par le comportement de certains gouvernants est une belle occasion d’aborder le problème de la vérité. Les chefs d’Etats populistes, et c’est bien leur caractéristique commune, usent du mensonge sans scrupule aucun. Imposer la vérité c’est lutter contre le populisme.
Selon Klein, à la question « que pensez vous du traitement à la Chloroquine ? », seulement 20% des personnes interrogées répondent ne pas savoir, alors que ce devrait être 100%. En effet le problème est si complexe : à quel stade de la maladie tel produit est-il administré, selon quel protocole, à quelle population, plutôt jeune, plutôt vieille, avec quelle autre produit? A cela s’ajoute la quasi impossibilité de réaliser des études avec un échantillon témoin, les malades préférant essayer la thérapeutique nouvelle plutôt que recevoir un placebo… Le problème est que tous ceux qui ont pris la parole ne se sont pas limités à la vérité des faits mais ont voulu prendre parti, une attitude que condamnait déjà en son temps Simone Weil1. La vérité est en effet dans les faits, dans la réalité concrète, elle se situe à un endroit particulier, que ce soit Marseille, Garches ou le Maroc, pour telle population donnée.
Je voudrais étendre le sujet de la vérité au cas que nous venons de vivre en France pour l’affaire Darmanin, le nouveau ministre de l’intérieur du gouvernement. On nous rappelle que dans un Etat de droit nous n’avons pas à donner un point de vue tant que la justice ne s’est pas prononcée. Aucune contestation à cela, mais dans ce débat on ne discute pas de la condamnation éventuelle mais de faits connus et reconnus par tous. La justice n’est pas la vérité, elle juge selon la loi initiée par le gouvernement et votée par le parlement. Les faits sont donc : une dame demande à un homme politique, détenteur de pouvoir, un service ; celui-ci obtient ensuite une faveur de cette personne, une espèce de « rétro commission ». Elle n’est pas financière mais on peut comprendre que, au moins pour beaucoup, ce ne soit que plus grave. Il m’est arrivé à plusieurs occasions d’avoir à refuser un avantage d’une société ou d’une association à qui, en tant qu’élu, j’avais octroyé un marché ou une subvention. Si j’avais accepté, j’aurais profité d’un avantage indu, que je l’aie demandé ou qu’il m’ait été offert. Que la justice condamne ou non ce ministre, il n’en reste pas moins qu’il a commis une faute et vu la nature de la « faveur » obtenue, sollicitée ou pas, une faute grave.
1. Simone Weil. Note sur la suppression générale des partis politiques. Editions Hadès, 2016.