Vladimir Poutine, l’homme qui avance masqué !

Par Jean-Daniel Rainhorn

Chapeau l’artiste ! Les livres d’Histoire retiendront que c’est en respectant scrupuleusement les procédures de la démocratie russe : proposition de loi déposée par une députée célèbre puisqu’elle est le première femme cosmonaute au monde, vote largement majoritaire du Parlement et obtention de plus de 77% de « oui » lors d’un référendum national, que Vladimir Poutine pourra, s’il le souhaite, rester au pouvoir jusqu’en 2036 ! L’opposition dénonce un « Coup d’Etat » ! Mais de quel « Coup d’Etat » s’agit-il ? En démocratie, le peuple n’est-il pas souverain ? Le Parlement n’est-il pas le lieu de l’élaboration des lois ? D’ailleurs, avons-nous entendu les protestations des démocraties occidentales ? A peine si le Département d’Etat américain a osé exprimer « sa préoccupation » face à de « possibles  pressions sur les électeurs et aux restrictions imposées aux observateurs indépendants du vote ». Ou encore l’Union Européenne qui a « déploré » « l’absence d’accès des électeurs à une information équilibrée et à un débat approprié ». Au moment même où Alexeï Navalny, le principal opposant de Poutine, semble avoir été la victime d’un empoisonnement dont l’origine reste mystérieuse.

En créant une présidence à vie, Poutine – il est au pouvoir depuis 1999 – réécrit les règles de la démocratie sans que cela provoque d’émotions particulières dans les pays considérés comme démocratiques. D’ailleurs n’est-ce pas par des voies parfaitement démocratiques que les nationaux-populistes  sont arrivés au pouvoir dans diverses régions du monde : Donald Trump aux USA, Boris Johnson au Royaume Uni, Jair Bolsonaro au Brésil, Narendra Modi en Inde, Recep Erdogan en Turquie ou encore Viktor Orban en Hongrie? D’autres encore et la liste est longue !

Mais là où Poutine est tout simplement stupéfiant, c’est que non seulement il instaure en Russie une solide dictature interne aux apparences présentables vue de l’étranger, mais il poursuit également le projet grand-russe de Catherine II en agrandissant le pays au détriment de l’Ukraine ainsi que le vieux rêve soviétique de domination du monde. Et si pour le deux premiers, il emploie encore la bonne vieille méthode de la force, pour le troisième, il utilise une arme moderne autrement plus efficace car moins visiblement brutale : l’influence discrète grâce en particulier aux nouvelles technologies de l’information et de la communication. Plutôt que d’imposer des systèmes politiques favorables à la Russie – les images des chars soviétiques à Budapest et Prague sont encore dans toutes les mémoires – il manie avec un succès indéniable le renseignement, le trucage des élections et le financement. N’est-ce pas le journal Le Monde qui le qualifiait, il y a peu, de « Parrain de l’extrême-droite européenne » [1]? Certes, l’image du chef mafieux colle assez bien à cet homme issu du KGB soviétique où l’on apprenait à la fois le culte du secret, la manipulation et la violence. Mais à l’heure de la globalisation, ne serait-il malheureusement pas plus approprié de le qualifier de « Patron du national-populisme international »[2] ? La lecture du récent éditorial du New York Times consacré à l’influence russe sur les élections américaines est à ce titre particulièrement édifiante[3].

On y apprend qu’un rapport publié le 18 août par la Commission du renseignement du Sénat américain, pourtant contrôlée par le Parti Républicain, montre que : « … la campagne de Donald Trump de 2016 a cherché et maintenu des contacts étroits avec des responsables du gouvernement russe qui l’aidaient à se faire élire. La campagne Trump a accepté leurs offres d’aide. » Et l’éditorial de conclure : « Dans moins de trois mois, le peuple américain pourrait réélire un homme qui a reçu l’aide d’un gouvernement étranger pour remporter une élection et n’a montré ni remords, ni réserves à le faire à nouveau. ». Donald Trump élu Président des Etats-Unis d’Amérique grâce à la Russie!  Pour tous ceux qui ont connu la guerre froide, cela peut légitimement paraître incroyable.

Et pourtant, pas à pas, depuis une dizaine d’années, Vladimir Poutine construit un nouvel édifice du droit international que l’on pourrait appeler « le droit d’ingérence politique » dans les affaires intérieures des Etats. Une démarche dont profitent largement les mouvements nationaux-populistes d’Europe au premier rang desquels le Rassemblement National Français de Marine Le Pen, la Lega Italienne de Matteo Salvini, le parti pour la liberté de Geert Wilders aux Pays Bas ou encore Victor Orban en Hongrie. Poutine a aujourd’hui une capacité de déstabilisation de l’Union Européenne qu’il ne faut certainement pas sous-estimer. Après la deuxième guerre mondiale, l’URSS avait une influence considérable sur la politique de plusieurs pays européens grâce en particulier aux partis communistes. Cinquante ans plus tard, c’est paradoxalement grâce aux partis d’extrême-droite qu’elle joue à nouveau un rôle essentiel en Europe. A quand un grand groupe politique ouvertement pro-russe au Parlement Européen ? Nous n’en sommes probablement plus très loin !

Et la Suisse dans tout cela ? Est-elle, comme souvent, à l’abri des soubresauts européens ? Son système démocratique si particulier et son sens du consensus la protégeraient-ils de l’influence de Vladimir Poutine sur ses affaires internes ? De Genève à Zürich en passant par Berne, beaucoup aimeraient le croire. Et pourtant, ce n’est pas l’avis de Jean-Philippe Gaudin, patron du Service de renseignement de la Confédération. En prenant ses fonctions, il a précisé son point de vue sans détour : « Il faut siffler la fin de la récréation. Nous devons désormais être clairs avec les Russes. Nous avons les capacités de voir ce qu’ils font et nous les utiliserons pour contrer leurs opérations.[4]». Au cours de la même conférence de presse, il a par ailleurs révélé surveiller les agissements de Moscou quant à de potentielles tentatives d’influence politique en Suisse. Une précaution d’autant plus louable qu’on connaît les liens étroits qu’entretiennent certains politiciens suisses eurosceptiques avec la Russie[5]. Sans oublier l’affaire du Laboratoire de Spiez – le seul laboratoire de biosécurité P4 en Suisse – qui travaille sur des données particulièrement sensibles dans les domaines atomiques, biologiques et chimiques et qui a fait récemment l’objet d’une tentative d’espionnage russe[6].

Les pays occidentaux font actuellement face à une vague nationale-populiste sans précédent depuis la seconde guerre mondiale qui illustre la perte de confiance d’une partie des populations dans les valeurs de la démocratie. Peu à peu, des hommes et des femmes qui se réclament de ce courant d’opinion arrivent au pouvoir, sans être forcément prêts à le quitter. Lorsqu’un journaliste demande à Donald Trump s’il acceptera le verdict des urnes au cas où il serait battu le 3 novembre prochain, il répond : « Je ne sais pas ! Je dois voir ! Je ne vais vous répondre ni oui, ni non ! [7]». Imagine-t-il être capable, lui aussi, de trouver une manière de rester au pouvoir, comme Vladimir Poutine a su si habilement le faire ? Une question qui commence à inquiéter les réseaux sociaux qui mettent en place des mesures pour éviter que le résultat des élections puisse être contesté par Trump en utilisant leurs plate-formes[8].


[1] Vladimir Poutine, Parrain de l’extrême-droite européenne. I. Mandraud. Le Monde, Paris. 03 avril 2019.

[2] Lire à ce sujet : « Mondialisation et national-populisme: la nouvelle grande transformation« . A. Zacharie et Catherine Xhardez. Ed. Le bord de l’eau. Lormont. 2020.

3]. The Trump Campaign Accepted Russian Help to Win in 2016. Case Closed. Editorial Board. The New York Times. Aug 19, 2020

[4] Nous voulons siffler la fin de la récréation ! B. Busslinger. Le Temps, Genève. 22 octobre 2018.

[5] Quand la Russie sert de canal eurosceptique. C. Zünd. Le Temps, Genève. 22 avril 2015.

[6] Moscou s’est intéressé de très près à un laboratoire suisse. C. Zünd. Le Temps, Genève. 15 septembre 2018.

[7] Fox News Sunday. Chris Wallace. 21 juillet 2020.

[8] Facebook Braces Itself for Trump to Cast Doubt on Election Results. The New York Times. Aug 21, 2020.

One Reply to “Vladimir Poutine, l’homme qui avance masqué !”

  1. Dario CIPRUT dit : Répondre

    Merci à Jean-Daniel Rainhorn de nous mettre en garde contre l’alliance sui generis entre les extrêmes-droites national-populistes et l’oligarchie russe personnifiée par Vladimir Poutine sous les apparences d’une observation rigoureuse de ce qu’il nomme « les procédures de la démocratie russe ». Je lui donne aussi mille fois raison de remarquer l’apathie des dites démocraties occidentales devant cette forme originale de dictature rampante, et de diagnostiquer que la perte de confiance d’une partie de la population (c’est un euphémisme) dans les valeurs de la démocratie y est pour quelques chose. Mais la pertinence du constat fait néanmoins ressortir une certaine béance du diagnostic quant à la responsabilité des « élites » démocratiques occidentales capable d’expliquer que les électeurs risquent de plus en plus de se détourner de valeurs aussi timidement défendues. Il y a certainement des raisons multiples à cette défiance croissante, mais on attend toujours qu’on s’attaque à ce qui ne saurait relever d’une lancinante énigme, qui lui pave la voie. Merci en tout cas de nous donner le goût d’y regarder de plus près.

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